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Sur les pas d’Émilie,

« Chaque fois que vous l’avez fait à l’un de ces plus petits de mes frères, c’est à moi que vous l’avez fait. » Mt 25, 40. Je voudrais profiter de cette occasion pour partager avec vous l’expérience faite depuis trois ans dans la prison civile des Cayes.

Je me rappelle ma première fête de Noël fêtée dans la communauté de Sainte Véronique : il y avait un échange de cadeaux, comme on fait chaque année d’ailleurs, et j’ai demandé à la personne qui avait pigé mon nom de ne pas m’acheter de cadeau, mais plutôt de me donner de l’argent afin de faire un petit cadeau à quelques prisonniers. En vous écrivant cela, je me sens émue, car presque toutes les sœurs de la communauté d’alors ont laissé tomber leur cadeau, elles aussi, pour les prisonniers. J’avais reçu aussi des dons venant de ma famille biologique, et même de monsieur Alfred Étienne, président-directeur général d’INNODEV (INNOVATION ET DÉVELOPPEMENT, entreprise sociale, fournissant les services de consultations, de maîtrise d’œuvre, et d’exécution de projets) a participé pour que cette année-là on achète des articles de toilette pour les personnes incarcérées. Au début, je visais les femmes, parce que premièrement je n’avais pas de beaucoup de moyens, car elles sont moins nombreuses que les hommes. À cet effet, j’ai contacté le directeur de la prison qui m’a conseillé lui-même de penser aussi aux hommes parce qu’ils sont souvent oubliés à cause de leur grand nombre. J’en ai parlé aux sœurs de ma communauté, mais malheureusement ce n’était pas prévu dans le budget de l’année, car je suis arrivée à Torbeck au mois d’août. Mais la Providence s’est occupée du reste et nous avons donné des articles de toilette à plus de 600 personnes.

L’année suivante, nous avons inclus ce projet dans le budget de la communauté ; on a donné des articles de toilette à plus de 700 personnes y compris femmes et enfants. En 2020, la communauté tenait toujours compte de ce noble projet et nous avons donné des articles de toilette à plus de 800 personnes. J’ai pris le temps de mentionner le nombre de personnes pour les confier à vos prières. Ces 800 personnes sont logées dans un espace qui a été construit pour 102 personnes environ. Outre les femmes qui sont une trentaine dans deux cellules, les enfants qui sont une vingtaine dans une autre cellule, 11 personnes atteintes de la tuberculeuse dans une cellule à part, le reste du groupe est réparti ainsi : entre 35 à 65 hommes par cellule sur un total de 19 cellules pour 800 personnes, c’est de la promiscuité. Que disent nos autorités à ce sujet ? Que font-elles pour changer ou améliorer la situation en tenant en compte les propositions faites ? Rien. Pourrions-nous imaginer ce qui se vit dans cette prison-là ? Et bien, au milieu de ces personnes, Dieu est enfermé, blessé, maltraité, il vit au milieu de tous ces gens humiliés, déshonorés, il souffre avec tous ces jeunes qui sont des victimes de la société haïtienne. En regardant le visage de toutes ces femmes et de tous ces hommes, qui vivent dans une situation inhumaine, le sens de la charité augmente en moi. Comme Émilie Gamelin, malgré mes préoccupations – travail à l’École Émilie-Gamelin, études à temps plein, aide à la paroisse, vie communautaire – mon cœur a toujours une petite place pour ce groupe le plus rejeté de notre société. Cela ouvre mon esprit critique sur le mode de fonctionnement du système judiciaire, qui parfois semble être trop lent, dans le pays. Les plaintes et complaintes de beaucoup qui se trouvent incarcérés, sans tenir compte des délais prévus par la loi, montrent plus clairement que l’équité en matière de justice chez nous est loin d’être atteinte.

Cependant, l’expérience faite et vécue aux côtés de ces personnes montre une grande soif et une faim de justice au milieu de toute cette injustice. Chaque fois que je les visite, je reçois une note sur un bout de papier de l’une ou l’autre de ces personnes, pour demander une aide spirituelle parce qu’il y en a qui ont hâte de sortir pour retrouver leur famille, ou bien une aide financière, pour acheter de quoi manger ou se laver. Alors, cette question m’est venue à l’esprit : « Que puis-je faire pour Dieu qui est en toutes ces personnes privées de liberté, privées de nourriture ou de vêtements, qui dorment dans des conditions inhumaines et dont les besoins les plus élémentaires ne sont pas satisfaits ; finalement elles sont privées de tout ? »

Cette parole de Jésus résonne très fort en moi : « Chaque fois que vous l’avez fait à l’un de ces plus petits qui sont mes frères, c’est à moi que vous l’avez fait » Mt 25,40. J’en connais une qui s’est laissé toucher par cette phrase et qui n’avait pas peur de courir le risque pour aller secourir les prisonniers de son époque, on l’appelait « l’Ange des prisonniers ». Si elle vivait aujourd’hui, elle irait sans doute secourir toutes ces personnes dont le droit et la dignité ne sont pas respectés. Fidèle à notre charisme, je n’hésite pas à aller à la périphérie comme nous l’exhorte le pape François pour apporter l’espoir aux personnes détenues qui sont souvent désespérées.

« Poussée par l’Esprit et par les témoignages de nos sœurs

l’amour du Christ nous presse pareillement à nos devancières

pour entendre tous les cris de notre monde

et dans l’humilité, ouvrons leur nos cœurs.

La foi en l’amour de Dieu nous donne des ailes, pour aller.

L’Espérance en l’amour de Dieu nous donne l’audace pour aller

dans les périphéries là où Dieu nous appelle. »

La simplicité, sur l’Album : « Les bienfaits de la Providence »

Sœur Eugena Nogaüs, s.p.

Torbeck, Haïti